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LE DISCIPLE

et d’un sentiment si contraire au programme réfléchi de mon aventure, s’accompagna presque aussitôt d’une révolte et contre ce sentiment et contre l’image de celle qui m’en infligeait la douleur. Je ne passai pas un jour, durant les longues semaines qui suivirent, sans me débattre contre cette honte d’être pris à mon propre piège, et sans subir un accès d’amère rancune contre l’absente. Je reconnaissais la profondeur de cette rancune à la joie infâme qui m’inondait le cœur lorsque le marquis recevait une lettre de Paris, qu’il la lisait d’un sourcil froncé, et qu’il soupirait : « Charlotte n’est toujours pas bien… » J’éprouvais une consolation insuffisante, misérable, mais une consolation tout de même, à me dire que, moi aussi, je l’avais blessée d’une blessure envenimée et lente à se fermer. Il me semblait que ce serait là ma vraie vengeance, si elle continuait, elle, de souffrir, et si je guérissais, moi, le premier. Je faisais appel au philosophe que je m’étais enorgueilli d’être pour abolir en moi l’amoureux. Je reprenais mon vieux raisonnement : « Il y a des lois de la vie de l’âme et je les connais. Je ne peux pas les appliquer à Charlotte, puisqu’elle m’a fui. Serai-je incapable aussi de me les appliquer à moi-même ? » Et je méditais sur cette nouvelle question : « Y a-t-il des remèdes contre l’amour ?… » — « Oui, » me répondais-je, « il y en a, et je les trouverai. »