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LE DISCIPLE

venais de recevoir, une traduction des lettres de Darwin. Le jour était voilé, mais presque brûlant. Une espèce de simoun, un vent venu de la Limagne et du sud, chauffait de son haleine les branches maintenant vertes des arbres. À mesure que j’avançais, ce vent me brisait les nerfs. Je voulus attribuer à son influence le grandissement de ma gène. Après quelques recherches infructueuses à travers le bois de la Pradat, je finis par trouver la clairière où nous nous étions assis, Charlotte et moi, — la pierre, — le bouleau. Il frémissait tout entier au souffle de ce vent, avec son feuillage dentelé dont l’ombre était plus épaisse aujourd’hui. Je m’étais promis de lire mon livre à cette place. Je m’assis et j’ouvris le volume. Il me fut impossible d’aller au delà d’une demi-page… Voici que les souvenirs m’envahissaient, m’obsédaient, me montrant la jeune fille sur cette même pierre, rangeant les brins de ses muguets, puis debout, appuyée contre cet arbre, puis affolée et fugitive, sur l’herbe du sentier. Une douleur indéfinissable montait, montait en moi, oppressant mon cœur, étouffant ma respiration, brûlant mes yeux de larmes, et je constatai avec épouvante qu’à travers tant de complications, d’analyses et de subtilités, j’étais devenu, sans m’en douter, éperdument amoureux de l’enfant qui n’était pas là, qui n’y serait plus jamais.

Cette découverte, si étrangement inattendue,