Page:Bourget - Le Disciple.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
LE DISCIPLE

fin de juillet, pour le mois d’août, pour septembre. Mon engagement durait jusqu’au milieu d’octobre. Mon cœur battait, ma gorge était serrée, tandis que nous nous promenions, Lucien et moi, dans la gare de Clermont, attendant le train de Paris vers les six heures. Dans l’excès de mon impatience, j’avais obtenu qu’on nous laissât venir au-devant du père. La locomotive entre en gare. M. de Jussat met sa tête fine et ravagée à une portière. Je dis, au risque de lui ouvrir les yeux sur mes sentiments :

— « Et Mademoiselle Charlotte ? »

— « Mais, merci, merci, » répond-il en me serrant la main avec effusion ; « le médecin dit qu’elle a un trouble nerveux très profond… Il parait que la montagne ne lui vaut rien… Et moi, qui ne me porte bien que là-haut !… Vraiment, c’est pénible, très pénible… Enfin, nous essaierons d’une longue cure d’eau froide à Paris, et puis de Ragatz peut-être… »

Elle ne revenait pas !… Si jamais j’ai regretté, mon cher maître, à titre de document psychologique, le cahier fermé que j’ai brûlé, c’est assurément aujourd’hui, et ce tableau quotidien de mes pensées depuis le soir de juin où le marquis m’annonçait ainsi l’absence définitive de sa fille. Ce tableau allait jusqu’au mois d’octobre, où une circonstance, impossible alors à prévoir, changea brusquement le cours probable des choses. Vous