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LE DISCIPLE

pouvait-elle regarder ainsi longuement, sinon la fenêtre à l’abri de laquelle je la regardais moi-même ? Puis un massif d’arbres déroba la voiture, qui reparut au bord du lac pour disparaître encore et s’enfoncer sur la route qui traverse le bois de la Pradat, — cette route où l’attendait un souvenir dont j’étais certain qu’il ferait battre plus vite ce cœur enfin troublé, enfin conquis.

Ce sentiment d’orgueil assouvi dura un mois entier, sans une minute d’interruption, et — preuve que j’étais encore dans mes rapports avec cette jeune fille tout intellectuel et psychologique — jamais mon esprit ne fut plus net, plus souple, plus habile au maniement des idées qu’à cette époque. J’écrivis alors mes meilleures pages, un morceau sur le travail de la volonté pendant le sommeil. J’y fis entrer, avec un délice de savant que vous comprendrez, les détails que j’avais notés, depuis ces quelques mois, sur les allées et venues, les hauts et les bas de mes résolutions. J’en avais tenu, comme je vous l’ai dit, le journal le plus précis, analysant, le soir avant de m’endormir, et le matin sitôt réveillé, les moindres nuances de mes états d’âme. Oui, ce furent des journées d’une singulière plénitude. J’étais très libre. Mlle Largeyx et la sœur Anaclet se relayaient pour tenir compagnie à la marquise. Mon élève et moi, nous profitions des belles et douces heures pour nous promener. Sous