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LE DISCIPLE

suivit cet entretien, une lettre pour celle dont j’avais rêvé de me faire aimer, où je lui demandais de nouveau pardon. Je comprenais, lui disais-je, combien tout rapport était devenu impossible entre nous, et j’ajoutais qu’à son retour elle n’aurait plus à supporter l’odieux de ma présence. Le lendemain matin et à travers le remue-ménage du départ, j’épiai un moment où, sa mère l’ayant appelée, je pusse entrer dans sa chambre. Je m’y précipitai pour y déposer ma lettre sur son bureau. Là, entre les livres préparés pour mettre dans la malle et quelques menus objets, était son buvard de voyage. Je l’ouvris et j’aperçus une enveloppe sur laquelle étaient ces mots : 12 mai 1886… C’était la date du jour de cette fatale déclaration !… Je pris cette enveloppe et je l’entr’ouvris. Elle contenait des fleurs de muguet desséchées, et je me souvins de lui en avoir, dans cette dernière promenade, donné en effet quelques brins plus beaux que les autres, et qu’elle avait mis à son corsage… Elle les avait donc conservés. Elle y tenait malgré ce que je lui avais dit, — à cause de ce que je lui avais dit, puisque cette date était là, écrite de son écriture : 12 mai 1886. — Je ne crois pas que j’éprouverai jamais une émotion comparable à celle qui me saisit là, devant cette simple enveloppe. Un flot d’orgueil m’inonda soudain tout le cœur. Oui, Charlotte m’avait repoussé. Oui,