Page:Bourget - Le Disciple.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
LE DISCIPLE

heure me devint-il facile ? Comment osai-je ce que je croyais ne devoir jamais oser ? Je pris sa main, que je sentis trembler dans la mienne, comme si la pauvre enfant était saisie d’une terreur foudroyante. Elle eut la force de se lever pour s’en aller, mais ses genoux tremblaient aussi, et je n’eus pas de peine à la contraindre de se rasseoir. J’étais si bouleversé de ma propre audace que je ne me possédais plus, et je commençai de lui dire mes sentiments pour elle avec des mots que je ne pourrais pas retrouver aujourd’hui, tant j’obéissais peu à un calcul quelconque, en ce moment-là. Toutes les émotions que j’avais traversées depuis mon arrivée au château, oui, toutes, depuis les plus détestables, celles de mon envie contre le comte André, jusqu’à la meilleure, mon remords d’abuser ainsi d’une jeune fille, se fondaient dans une adoration presque mystique, à demi folle, pour cette créature si frémissante, si émue, si belle !… Je la voyais devenir, à mesure que je parlais, aussi pâle que les fleurs qui demeuraient éparses sur sa robe. Je me souviens que les phrases me venaient, exaltées jusqu’à la folie, désordonnées jusqu’à l’imprudence, et que je finis par répéter comme dans un spasme : « Que je vous aime ! Ah ! Que je vous aime !… » en serrant sa main dans les miennes et m’approchant d’elle davantage encore. Elle se penchait, comme si elle avait perdu la force de se soutenir. Je passai mon