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LE DISCIPLE

d’espace ? Peut-être des vues démesurées et confuses favorisent-elles les concentrations de la pensée que distrairait un détail trop voisin, trop circonstancié ? Peut-être les solitaires trouvent-ils une volupté de contraste entre leur inaction songeuse et l’ampleur du champ où se développe l’activité des autres hommes ? Quoi qu’il en soit de ce petit problème qui se rattache à cet autre, trop peu étudié : la sensibilité animale des hommes d’intelligence, il est certain que ce paysage mélancolique était depuis quinze ans le compagnon avec qui le silencieux travailleur causait le plus. Son ménage était tenu par une de ces domestiques comme en rêvent tous les vieux garçons, sans se douter que la perfection de certains services suppose chez le maître une régularité correspondante d’existence. Dès son arrivée, le philosophe avait demandé simplement au concierge une femme de charge pour ranger son appartement et un restaurant d’où il fit venir ses repas. Ces deux demandes risquaient d’aboutir aux pires conséquences : un service fait à la diable et une nourriture de poison. Elles eurent ce résultat inattendu d’introduire dans l’intérieur d’Adrien Sixte précisément la personne que rêvaient ses vœux les plus chimériques, si toutefois un abstracteur de quintessences, comme Rabelais appelle cette sorte de songeurs, garde le loisir de former des vœux.

Ce concierge — d’après les us et coutumes de