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LE DISCIPLE

mes doctrines et mes théories, je ressentis cette puberté de toute la nature. La glace d’idées abstraites où mon âme était emprisonnée se fondit. Quand j’ai relu plus tard les feuillets du journal, aujourd’hui détruit, où je notais alors mes sensations, je suis demeuré étonné de voir avec quelle force les sources de la naïveté se rouvrirent en moi sous cette influence qui n’était pourtant que physique, et de quel flot jaillissant elles inondèrent mon cœur ! Je m’en veux de penser avec cette lâcheté. Pourtant j’éprouve une douceur à me dire qu’à cette époque j’ai sincèrement aimé celle qui n’est plus. Oui, je me répète, avec un soulagement réel, que du moins le jour où j’ai osé enfin lui parler de mon amour, — jour fatal et qui marqua le commencement de notre perte à tous les deux, — j’étais la dupe sincère de mes propres paroles. Vous voyez, mon cher maître, comme je suis redevenu faible, puisque je revendique comme une excuse la sincérité de cette duperie. Excuse de quoi ? Et qu’est-ce autre chose que la misérable abdication du savant devant l’expérience instituée par lui ?

Pour tout dire et ne pas me faire plus fort que je ne l’ai été, cette déclaration, sur laquelle j’avais tant délibéré, fut simplement l’effet du moins préparé des hasards. Je me souviens, nous étions au 12 mai. C’est la date exacte. Dire qu’il y a moins d’un an et que depuis !… Dans la mati-