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LE DISCIPLE

ressemblait au sien, et j’observais en elle des gestes qui ressemblaient aux miens. Enfin, je devenais une portion de sa vie, sans qu’elle s’en aperçût elle-même, tant j’avais souci de ne pas effaroucher cette âme, en train de se prendre, par un mot qui lui fit sentir le danger.

Cette vie d’une diplomatie surveillée, à laquelle je me condamnai durant près de deux mois que durèrent ces rapports simplement intellectuels, n’allait pas sans des luttes intérieures et presque quotidiennes. Intéresser cet esprit, envahir petit à petit cette imagination, ce n’était pas là tout mon programme. Je voulais être aimé, et je me rendais compte que cet intérêt moral n’était que le commencement de la passion. Ce commencement devait aboutir, pour ne pas demeurer inutile, à une autre intimité que l’intimité sentimentale, il y a dans votre Théorie des passions, au bas d’une page, mon cher maître, une note que je relisais continuellement à cette époque-là, et j’en sais encore le texte par cœur : « Une étude bien faite sur la vie des séducteurs professionnels, » dites-vous, « jetterait un jour définitif sur le problème de la naissance de l’amour. Mais les documents nous manquent. Ces séducteurs ont presque tous été des hommes d’action, et qui, par suite, ne savaient pas se raconter. Pourtant quelques morceaux d’un intérêt psychologique supérieur, les Mémoires de Casanova, la Vie privée du maré-