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LE DISCIPLE

en apprivoisant des bêtes. J’avais eu à une époque la curiosité d’écrire quelques chapitres de psychologie animale, et si ma mère, comme je le lui ai demandé, vous communique, après ma mort, ce que la justice lui rendra de mes papiers, vous y trouverez des notes sur ces relations dociles de la bête avec l’homme. J’ai tout lieu de les croire inédites et dignes de votre attention. Un théorème de Spinoza m’avait servi de point de départ. Je ne m’en rappelle plus le texte, mais en voici le sens : — se représenter un mouvement, c’est le refaire en soi-même… Cela est vrai de l’homme, et cela est vrai de l’animal. Un savant d’un rare mérite et que vous connaissez bien, M. Espinas, a expliqué ainsi que toute société est fondée sur la ressemblance. J’en ai conclu, moi, que pour un homme, apprivoiser un animal, l’amener à vivre en société avec lui, c’est ne faire dans ces rapports avec cet animal que des mouvements dont cet animal puisse se rendre compte en les refaisant, c’est lui ressembler. J’avais vérifié cette loi en constatant la mystérieuse analogie de physionomie qui s’établit entre les chasseurs et leurs chiens, par exemple. Je constatais de même — et c’était le signe qu’en effet Mlle de Jussat s’apprivoisait chaque jour un peu davantage — que nous commencions, elle et moi, à employer dans nos phrases des expressions analogues, des tournures presque pareilles. Je me surprenais timbrant mes mots d’un accent qui