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LE DISCIPLE

couper son travail par une causerie. Lorsqu’il eut à plusieurs reprises constaté qu’il ne rencontrait plus chez moi ni le sourire accueillant ni l’indulgence de regards des leçons précédentes, il devint lui-même soucieux. Comme il est naturel, le pauvre garçon prenait ma tristesse pour de la sévérité, mes silences pour du mécontentement. Un matin, il se hasarda jusqu’à me demander :

— « Est-ce que vous êtes fâché contre moi, monsieur Greslou ? »

— « Non, mon enfant, » répondis-je on flattant sa joue fraiche avec ma main ; et je continuai de garder ma physionomie songeuse, tout en contemplant la neige qui fouettait les vitres. Elle tombait maintenant, du matin jusqu’au soir, par larges étoiles tourbillonnantes, avec un enveloppement, un endormement de tout le paysage, et, dans les pièces tièdes du château, c’était un charme silencieux d’intimité, une lointaine mort des moindres bruits de la montagne, tandis que les carreaux des fenêtres, revêtus de givre au dehors et de vapeur au dedans, tamisaient une lumière plus adoucie, comme malade. Cela faisait un fond de mystère à la figure de mélancolie que je me façonnais et que j’imposais à l’observation de Charlotte durant les heures où nous nous rencontrions. Quand la cloche du déjeuner nous réunissait dans la salle à manger, je surprenais, dans les yeux avec lesquels elle m’accueillait, la même curiosité timide