Page:Bourget - Le Disciple.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LE DISCIPLE

— « Pardon de vous avoir questionné… » Puis elle se tut. Ces quelques minutes suffisaient pour me révéler la place que j’occupais déjà dans sa pensée. Devant la preuve de ce délicat et noble intérêt, j’aurais dû avoir honte de mon mensonge, car c’en était un que ce soi-disant rappel d’un grand chagrin, — un mensonge gratuit et instantané dont la soudaine invention m’a souvent étonné moi-même quand j’y ai songé depuis lors. Oui, pourquoi ai-je imaginé subitement de me draper ainsi dans la poésie d’une grande douleur, moi dont la vie, depuis la mort de mon père, avait été si douce, somme toute, si peu sacrifiée ? Ai-je cédé à ce goût inné de me dédoubler qui fut toujours si fort en moi ? Cette simagrée romanesque dénonçait-elle l’hystérie de vanité qui pousse quelques enfants à mentir, eux aussi, sans raison et avec tant d’inattendu ? Une vague intuition me fit-elle apercevoir dans un cabotinage de déception et de mélancolie le plus sûr moyen d’intéresser davantage la sœur du comte André ? Je ne me rends pas bien compte des mobiles précis qui me dominèrent à ce moment de notre promenade. Assurément, je ne prévoyais avec exactitude ni l’effet de ma tristesse affectée ni celui de mon mensonge, mais je me rappelle qu’aussitôt cet effet constaté, une résolution s’installa en moi : celle d’aller jusqu’au bout et de voir quel effet je produirais sur cette âme en continuant avec cons-