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LE DISCIPLE

que ma tristesse. Un instant vint où elle ne fut plus capable de dominer l’impression que cette tristesse lui causait, et, d’une voix que la timidité rendait comme un peu étouffée, elle me demanda :

— « Est-ce que vous êtes souffrant, monsieur Greslou ? »

— « Non, mademoiselle, » lui répondis-je avec une brusquerie qui dut la blesser, car sa voix tremblait davantage encore pour insister :

— « Alors, quelqu’un vous a fait quelque chose ? Vous n’êtes pas comme à votre ordinaire… »

— « Personne ne m’a rien fait, » répondis-je en secouant la tête ; « mais c’est vrai, » ajoutai-je, « j’ai des raisons d’être triste, très triste, aujourd’hui… C’est pour moi l’anniversaire d’un grand chagrin, que je ne peux pas dire… »

Elle me regarda de nouveau. Elle ne se surveillait pas et je continuais de suivre dans ses yeux les mouvements qui l’agitaient comme on suit les allées et venues du mécanisme d’une montre à travers une boîte en cristal. Je l’avais vue inquiète de mon attitude au point d’en perdre du coup la sensation du divin paysage. Je la voyais maintenant à la fois soulagée d’apprendre que je n’avais contre elle aucun grief, touchée de ma mélancolie, curieuse d’en connaître la cause, et n’osant pas m’interroger. Elle dit seulement :