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LE DISCIPLE

sonne, depuis mon arrivée, ne semblait faire la moindre attention à moi. Le marquis n’apparaissait qu’au déjeuner, enveloppé d’une robe de chambre, et pour gémir sur sa santé ou sur la politique. La marquise s’occupait à parfaire le confortable du château, et elle soutenait de longues conférences avec un tapissier venu de Clermont. Le comte André montait à cheval le matin, il chassait l’après-midi, et, le soir, il fumait ses cigares sans plus m’adresser la parole. La gouvernante et la religieuse s’observaient et m’observaient avec une discrétion qui me glaçait. Mon élève était un garçon paresseux et lourd, qui n’avait qu’une qualité, celle d’être très simple, très confiant, et de me raconter tout, ce que je voulais bien entendre sur lui-même et les siens. J’avais appris ainsi tout de suite que le séjour à la campagne, cette année, était l’œuvre du comte André, ce qui ne m’étonna point, car je le sentais de plus en plus le vrai chef de la famille. J’appris que, l’année précédente, il avait voulu faire épouser à sa sœur un de ses camarades, un M. de Plane, que Charlotte avait refusé et qui était parti pour le Tonkin. J’appris… Mais qu’importe ce détail ? Dans nos deux classes quotidiennes, le matin de huit heures à neuf heures et demie, l’après-midi de trois heures à quatre heures et demie, j’avais une peine extrême à fixer l’attention du petit flâneur. Assis sur sa chaise, en face