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LE DISCIPLE

pour y recueillir des émotions. Enfin ce mépris pour le mensonge que professait mon interlocuteur me frappait comme un affront, en même temps que cette confiance absolue dans ma moralité, fondée sur une fausse image de moi, me gênait, me froissait, me blessait. Certes, la contradiction était piquante : je me donnais comme pareil au portrait que le vieil ami de mon père avait tracé de ma personne ; il me plaisait par certains côtés que l’on me crût tel, et je me sentais irrité que lui, le comte André, ne se défiât pas de moi. Il y a là un détour du cœur qui déconcerte mon analyse. Qu’est-ce que cela prouve, sinon que nous ne nous connaissons jamais entièrement nous-même ? Vous l’avez dit, mon maître, avec magnificence : « Nos états de conscience sont comme des îles sur un océan de ténèbres qui en dérobe à jamais les soubassements. C’est l’œuvre du psychologue de deviner par des sondages le terrain qui fait de ces îles les sommets visibles d’une même chaîne de montagnes, invisible et immobile sous la masse mobile des eaux… »

Si j’ai insisté sur cette soirée qui suivit mon arrivée au château, ce n’est pas qu’elle ait eu des conséquences immédiates, puisque je me retirai après avoir assuré au comte André que j’étais absolument de son avis sur la direction à donner à son jeune frère, et que, remonté dans ma chambre, je me bornai à consigner ses paroles sur