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LE DISCIPLE

moi par le comte André, par le frère de cette pauvre morte, dont le souvenir, à présent que j’approche du drame, se fait vivant pour moi jusqu’à la torture. Mais remontons-y, à cette arrivée… Il est près de cinq heures. Le landau marche plus vite. Le marquis s’est éveillé. Il me montre la nappe frissonnante du petit lac d’Aydat, rose et froide sous un ciel du couchant qui empourpre les feuillages séchés des hêtres et des chênes ; et, là-bas, le château, une grande bâtisse de construction moderne, blanche avec ses tours trop grêles et ses toits en poivrière, se rapproche à chaque lacis de la route grise. Le clocher d’un village, d’un hameau plutôt, dresse ses ardoises au-dessus des quelques maisons à toits de chaume. Il est dépassé. Nous voici dans l’allée d’arbres qui mène au château, puis devant le perron, et tout de suite dans le vestibule. Nous entrons dans le salon. Qu’il était paisible, ce salon, éclairé par les lampes aux larges abat-jour, avec le feu qui brûlait gaiement dans la cheminée ! Et, par groupes, la marquise de Jussat travaillait avec sa fille à des ouvrages au crochet pour les pauvres ; mon futur élève regardait un livre d’images, debout contre le piano ouvert avec sa musique ; la gouvernante de Mlle Charlotte et une religieuse se tenaient assises, plus loin, et cousaient. Le comte André parcourait un journal qu’il déposa au moment de notre arrivée. Oui, que ce salon