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LE DISCIPLE

manquaient de ce brillant littéraire qui ne s’acquiert que dans les lycées de Paris. En novembre 1885, j’acceptai d’entrer comme précepteur chez les Jussat-Bandon. Je vous écrivis alors que je renonçais à mon indépendance afin d’éviter de nouvelles dépenses à ma mère. Il se joignait à cette raison l’espoir secret que les économies réalisées dans ce préceptorat me permettraient, une fois ma licence passée, de préparer mon agrégation à Paris. Le séjour dans cette ville m’attirait surtout, mon cher maître, je peux bien vous l’avouer aujourd’hui, par la perspective de me loger auprès de la rue Guy-de-la-Brosse. Ma visite dans votre ermitage m’avait produit une impression bien profonde. Vous m’étiez apparu comme une sorte de Spinoza moderne, si complètement identique à vos livres, par la noblesse d’une vie tout entière consacrée à la pensée ! Je me forgeais d’avance un roman de félicité à l’idée que je saurais les heures de vos promenades, que je prendrais l’habitude de vous rencontrer dans cet antique jardin des Plantes qui ondoie sous vos fenêtres, que vous consentiriez à me diriger, qu’aidé, soutenu par vous, je pourrais marquer, moi aussi, ma place dans la Science ; enfin, vous étiez pour moi la Certitude vivante, le Maître, ce que Faust est pour Wagner dans la symphonie psychologique de Gœthe. D’ailleurs les conditions où s’offrait ce préceptorat étaient particulière-