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LE DISCIPLE

elles avaient produit cette magnificence d’horizon qui me ravissait, quand mes yeux contemplaient la coupe gracieuse du Parion, le puy de Dôme et toute la ligne de ces nobles montagnes. Le long des chemins verdoyaient des euphorbes en fleur, dont je brisais les tiges pour voir le poison en dégoutter, blanc comme du lait. Mais ces fleurs vénéneuses nourrissaient la belle chenille tithymale, verte avec des taches sombres, et un papillon en devait naître, un sphinx aux ailes colorées des plus fines nuances. Parfois une vipère glissait entre les pierres de ces routes poudreuses, que je regardais aller, grise sur la pouzzolane rouge, avec sa tête plate et la souplesse de son corps tacheté. La dangereuse bête m’apparaissait comme une preuve de l’indifférence de cette nature, qui n’a d’autre souci que de multiplier la vie, bienfaisante ou meurtrière, avec la même inépuisable prodigalité. Je sentais alors, avec une force inexprimable, se dégager de ces choses la même leçon que de vos œuvres, à savoir que nous n’avons rien à nous que nous-même, que le Moi seul est réel, que cette nature nous ignore, comme les hommes, qu’à elle comme à eux nous n’avons rien à demander sinon des prétextes à sentir ou à penser. Mes vieilles croyances en un Dieu père et juge me semblaient des songes d’enfant malade, et je me dilatais jusqu’aux extrêmes limites du vaste paysage, jusqu’aux profondeurs de l’im-