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LE DISCIPLE

l’hypothèse sur la cause première est un non-sens, l’idée même de cette cause première une absurdité, et que néanmoins ce non-sens et cette absurdité sont aussi nécessaires à notre esprit que l’illusion à nos yeux d’un soleil en train de tourner autour de la terre, quoique nous sachions que ce soleil est immobile et cette terre en mouvement. La puissante ingéniosité de ce raisonnement ravit mon intelligence, qui, s’abandonnant docilement à votre conduite, en arriva enfin à une vision du monde lucide et justifiée. J’aperçus l’univers tel qu’il est, épandant sans commencement et sans but le flot inépuisable de ses phénomènes. Le soin que vous avez eu d’appuyer toutes vos argumentations sur des faits empruntés à la Science correspondait trop bien aux lointains enseignements de mon père pour ne pas me séduire par cela aussi, par ce charme d’une ancienne habitude d’esprit, pratiquée à nouveau après des années. Je lisais et je relisais vos pages, les résumant, les commentant et m’appliquant, avec l’ardeur d’un néophyte, à m’en assimiler tout le suc. L’orgueil intellectuel que j’avais senti remuer en moi dès mon enfance s’exaltait dans le jeune homme qui apprenait de vous le renoncement aux plus douces, aux plus consolantes utopies. Ah ! comment vous raconter ces fièvres d’une initiation qui fut pareille à un premier amour par les félicités de l’enthousiasme et ses ferveurs ? J’avais comme