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LE DISCIPLE

de venir chez elle, et la fièvre que ses caresses avaient allumée en moi, jointe à une palpitante curiosité des choses de la chair éveillée par mes lectures, me fit aller à ce rendez-vous. Là, dans une chambre de hasard, sur un lit aux gros draps de calicot rude, je perdis ma virginité entre les bras de cette fille dans les yeux de laquelle l’idée de mon innocence physique allumait un si bestial éclat qu’elle me fit peur. L’action ne fut pas plus tôt accomplie que je m’enfuis de cette chambre avec un dégoût inexprimable. Il me semblait que mes mains, que ma bouche, que tout mon corps, étaient souillés d’une souillure qu’aucune eau ne laverait. Ma première idée fut d’aller me confesser et d’implorer du Dieu auquel je croyais encore la force de ne pas recommencer. Ce dégoût persista pendant plusieurs jours, et puis je constatai, avec un mélange d’épouvante et de volupté, que le désir s’y insinuait petit à petit, et c’est alors que je pus observer ce trait de mon caractère que je vous ai signalé en vous parlant de mon père : l’incapacité à me servir de mon esprit pour me diriger et me dominer. Contre la honte d’une nouvelle chute dans l’abîme des sens, j’eus beau dresser et les convictions de ma piété encore intacte, et les délicatesses de mon imagination cultivée par tant de lectures ; j’eus beau me dire que cela était à la fois infâme et trivial, que je ressemblais ainsi aux camarades les plus méprisés par Émile et par moi,