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LE DISCIPLE

plus dangereux de la vie, tandis que je continuais, grâce à ma puissance native de dédoublement, à jouer le personnage d’un enfant très sage, très assidu à ses devoirs, très soumis à sa mère et très pieux. Mais non. Si bizarre que cela doive vous sembler, je ne jouais pas ce personnage. Je l’étais aussi, avec une contradiction spontanée qui peut-être m’a mis sur la voie du travail psychologique auquel j’ai consacré mes premiers efforts. Quand j’ai rencontré dans votre ouvrage sur la volonté ces suggestives indications sur la multiplicité du moi, comment n’y aurais-je pas adhéré aussitôt, après avoir traversé des époques comme celles que je vous décris aujourd’hui et dans lesquelles j’ai été réellement plusieurs êtres ?

Cette crise de sensibilité imaginative avait donc continué d’attaquer en moi la foi religieuse en me donnant la tentation du péché subtil et celle aussi du scepticisme douloureux. La crise de sensualité qui en résulta faillit raviver cette foi dans mon cœur déjà très malade. Je cessai d’être pur à dix-sept ans, et comme il arrive d’habitude, dans des conditions très prosaïques et très tristes. Une ouvrière d’environ trente ans, fraîche mais commune, qui venait chez ma mère, se trouvant un après-midi seule avec moi, profita de la circonstance pour m’attirer auprès d’elle et me donner des baisers qui m’affolèrent. Elle me demanda