Page:Bourget - Le Disciple.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
LE DISCIPLE

tive de la confiance qui m’avait dès mon enfance séparé de ma mère. Je continuais à pousser jusqu’aux plus fines, aux plus ténues délicatesses mes examens de conscience, et l’abbé Martel continuait à ne pas même apercevoir ce travail de torture secrète qui m’anatomisait toute l’âme. Mes scrupules lui paraissaient, ce qu’ils étaient en fait, des enfantillages. Mais c’étaient les enfantillages d’un garçon très complexe et qui ne pouvait être dirigé que si on lui donnait la sensation d’être compris. J’en arrivai bientôt à éprouver, dans mes entretiens avec ce prêtre rude et primitif, la sensation contraire, celle de l’inintelligence. Ce n’était pas de quoi empêcher que je ne remplisse mes devoirs religieux. C’était assez pour enlever à ce directeur de ma première jeunesse toute véritable autorité sur ma pensée. En même temps, et c’est la seconde d’entre les causes qui m’ont détaché de l’Église, je retrouvais chez les hommes que je considérais alors comme supérieurs la même indifférence à l’endroit des pratiques religieuses que j’avais, tout petit, remarquée chez mon père. Je savais que les jeunes professeurs, ceux qui nous venaient de Paris avec le prestige d’avoir traversé l’École normale, étaient tous des sceptiques et des athées. J’entendais ces mots prononcés par l’abbé Martel, avec une indignation concentrée, dans les visites qu’il rendait à ma mère. Involontairement je réfléchis-