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LE DISCIPLE

de tenue, sur mes manières bonnes ou mauvaises, sur mes petits camarades et sur leurs parents. Mon intelligence, trop dressée au plaisir de penser, se sentait alors étouffée, comme opprimée. Le paysage immobile des volcans éteints me rappelait les épisodes grandioses du drame terrestre que mon père me retraçait autrefois. Les fleurs que je cueillais, ma mère les prenait pour quelques minutes, puis elle les laissait tomber sans presque les regarder. Elle ignorait leur nom, de même qu’elle ignorait celui des insectes qu’elle me faisait rejeter sitôt ramassés, comme malpropres et venimeux. Les chemins entre les vignes, que nous suivions ensemble, ne s’en allaient plus vers cette découverte du vaste monde à laquelle la parole fécondante du mort m’avait convié. Ils prolongeaient les rues de la ville et la misère des devoirs quotidiens. Je cherche des mots pour traduire la vague et bizarre sensation d’ennui, d’esprit mutilé, d’atmosphère raréfiée que m’infligeaient ces promenades, et je n’en trouve pas de précis. Le langage a été créé par des hommes faits pour exprimer des idées et des sentiments d’hommes faits. Les termes manquent qui correspondent aux perceptions inachevées des enfants, à leur pénombre d’âme. Comment raconter des souffrances qui ne se comprennent pas elles-mêmes et dont la révélation n’a lieu qu’une fois passées, celles, par exemple, qui furent les