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LE DISCIPLE

la clef qui prit place, parmi d’autres, dans le trousseau qu’elle portait toujours avec elle. Puis elle ajouta sévèrement :

— « Quand tu voudras lire un livre, tu me le demanderas. »

Moi, lui demander un de ces livres, mais lequel ? Je savais si bien qu’elle me refuserait tous ceux que j’aurais eu envie de relire et dont je venais regarder les titres à travers le vitrage ! Je me rendais déjà trop compte que nous ne pensions de la même manière en aucun point. Je lui en voulus d’avoir arrêté mes plus vifs plaisirs de lecture, moins peut-être à cause de cette défense que pour la raison qu’elle m’en donna. Car elle crut devoir me répéter à cette occasion, et sur les dangers des romans, des phrases empruntées à quelque manuel de piété qui, dès lors, me parurent exprimer exactement le contraire de ce que j’avais éprouvé par moi-même. Elle prit aussi prétexte des dangers que j’avais courus dans ces lectures inconsidérées pour s’occuper plus attentivement de mes études et diriger mon éducation. C’était son devoir, mais le contraste fut trop grand entre les idées auxquelles mon père m’avait initié précocement et la misère de sa pensée, à elle, meublée d’impressions positives, mesquines et bourgeoises. J’allais avec elle maintenant à la promenade, et elle causait avec moi. Sa conversation portait uniquement sur des remarques