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LE DISCIPLE

J’ai lu quelque part que Mérimée, tout enfant, avait été grondé, puis chassé d’une chambre par sa mère, qui, lui à peine sorti, éclata de rire. Mérimée entendit ce rire, il constata comme on lui avait joué la comédie de l’irritation, et il sentit se creuser sur son cœur un pli de défiance qui ne s’effaça jamais. Cette anecdote me frappa beaucoup lorsque je la rencontrai. L’impression du célèbre écrivain m’offrait une analogie saisissante avec l’effet que produisit sur moi le fragment de causerie entendu sur le balcon. C’était bien vrai que je ne parlais jamais de mon père, mais c’était si faux que je l’eusse oublié ! J’y pensais au contraire sans cesse. Je ne longeais pas un trottoir, je ne traversais pas une rue, je ne regardais pas un de nos meubles, sans que le souvenir du mort ne s’éveillât en moi, avec une obsession qui me faisait mal. À cette obsession se mêlait un étonnement épouvanté qu’il eût disparu pour toujours, et le tout se confondait dans une espèce d’appréhension anxieuse qui me fermait la bouche quand on m’entretenait de lui. Je me rends bien compte maintenant que ce travail de ma pensée ne pouvait être connu de ma mère. Sur le moment, et quand je l’entendis condamner ainsi mon cœur, j’éprouvai une humiliation profonde. Il me sembla qu’en parlant de la sorte elle n’agissait pas avec moi comme elle aurait dû. Je la sentis injuste, et, par une timidité de petit garçon en-