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LE DISCIPLE

réalité, ils sont, devant ceux qu’ils fréquentent, comme un enfant devant une montre. L’enfant voit marcher les aiguilles, il ne sait rien du rouage caché qui les fait mouvoir. De là, quand ces aiguilles ne vont pas à sa fantaisie, à les violenter et à fausser les ressorts de la montre, il y a juste l’épaisseur d’une impatience.

Ma pauvre mère fut ainsi avec moi, et dès la semaine qui suivit notre commun désastre. Je me sentis presque aussitôt tomber vis-à-vis d’elle dans un état de malaise indéfinissable, mais sans qu’un fait précis eût donné corps à ce malaise. La première circonstance qui m’éclaira sur le divorce commencé dès lors entre nous deux — dans la mesure où ma tête d’enfant pouvait être éclairée — date d’un après-midi d’automne, quatre mois environ après la mort de mon père. L’impression reçue fut si forte que je me la rappelle comme si elle datait d’hier. Nous avions dû changer d’appartement, et nous avions loué le troisième étage d’une maison, toute en hauteur, dans la rue du Billard, ruelle étroite qui contourne les ombrages de la place des Petits-Arbres, devant le palais de la Préfecture. Ma mère avait été déterminée à ce choix par l’existence d’un balcon où j’étais justement en train de jouer durant ce bel après-midi. Mon jeu — vous y reconnaîtrez le tour scientifique imprimé par mon père à mon imagination — consistait à conduire