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LE DISCIPLE


Comme je veux, dans cette indication sommaire des diverses causes qui m’ont formé mon âme de jeune homme, éviter à tout prix ce que je hais le plus au monde, l’étalage de la sentimentalité subjective, je ne vous raconterai pas, mon cher maître, d’autres détails sur cette mort. Il y en eut de navrants, mais je ne sentis leur tristesse qu’à la distance et que plus tard. Je me rapelle, quoique je fusse un garçon déjà grand et remarquablement développé, avoir éprouvé plus d’étonnement que d’affliction. C’est aujourd’hui que je regrette vraiment mon père, que je comprends ce que j’ai perdu en le perdant. Je crois vous avoir nettement marqué ce que je lui dois : le goût et la facilité de l’abstraction, l’amour de la vie intellectuelle, la foi dans la science, le précoce maniement de la bonne méthode : voilà pour l’esprit ; pour le caractère, la première divination de l’orgueil de penser, et aussi un élément un peu morbide, cette difficulté d’agir qui a pour conséquence la difficulté de résister aux passions lorsqu’elles vous entrainent. — Je voudrais marquer aussi nettement ce que je crois devoir à ma mère. Tout d’abord j’aperçois ce fait que cette seconde influence agit sur moi par réaction, tandis que la première avait agi directement. À vrai dire, cette réaction ne commença qu’au jour où, devenue veuve, elle voulut s’occuper de me diriger elle-même. Jusque-là, elle m’avait abandonné à