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LE DISCIPLE

deviendrons un grand savant, comme le père ?… » Quand ma mère prenait son avis, c’était pour l’écouter avec la soumission d’un instinctif respect. Elle trouvait donc naturel qu’il n’accomplit pas certaines actions qui, pour nous, étaient obligatoires. Nous n’avions pas les mêmes devoirs, lui et nous. Cette idée ne se formulait pas dès lors dans mon cerveau d’enfant avec cette netteté, mais elle y déposait le germe de ce qui allait être plus tard une des convictions de ma jeunesse, à savoir que les mêmes règles ne gouvernent pas les hommes très intelligents et les autres. Ce fut là, dans cette petite église, et docilement penché sur mon paroissien, que le grand principe de ma vie a pris naissance : — ne pas considérer comme une loi, pour nous autres qui pensons, ce qui est et doit être une loi pour ceux qui ne pensent pas ; — de même que j’ai reçu de mes conversations avec mon père, à ce même âge, durant nos promenades, le premier germe de ma vue scientifique du monde.

La campagne autour de Clermont est merveilleuse, et quoique je sois, au rebours du poète, un homme pour qui le monde extérieur existe très peu, j’ai gardé à jamais au fond de ma mémoire l’image des horizons qui ont entouré ces promenades. Tandis que la ville d’un côté regarde vers la plaine de la Limagne, elle s’adosse de l’autre côté aux derniers contreforts de la chaîne