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LE DISCIPLE

état supérieur cette double nature ; des crises spasmodiques de passion jointes à cette énergie continue de pensée abstraite. J’ai eu pour rêve d’être à la fois fiévreux et lucide, le sujet et l’objet, comme disent les Allemands, de mon analyse, le sujet qui s’étudie lui-même et trouve dans cette étude un moyen d’exaltation à la fois et de développement scientifique, Hélas ! Où celle chimère m’a-t-elle mené ? Mais ce n’est pas l’heure de parler des effets, nous n’en sommes encore qu’aux causes.

Parmi les circonstances qui agirent sur moi durant mon enfance, je crois que voici une des plus importantes ; chaque dimanche matin, et aussitôt que je pus lire, ma mère commença de m’emmener avec elle à la messe. Cette messe se célébrait à huit heures dans l’église des Capucins, assez nouvellement bâtie sur un boulevard planté de platanes, qui monte du cours Sablon à la place du Taureau, en longeant le jardin des Plantes. À la porte de cette église se tenait assise, devant une boutique volante, une marchande de gâteaux, appelée la mère Girard, que je connaissais bien, pour lui acheter au printemps de petits bâtons auxquels quatre ou cinq cerises pendaient, attachées par du fil blanc. C’étaient les premiers de ces fruits que je mangeasse dans la saison. Cette friandise aigre et fraîche fut une des sensualités de ces jours d’enfance. Elle aurait pu deve-