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LE DISCIPLE

rieures m’ont fait reconnaitre dans plusieurs traits de mon caractère le résultat, transmis sous forme instinctive, de l’existence en études abstraites menée par mon père. J’ai constamment éprouvé, par exemple, une horreur singulière pour l’action, si faible fût-elle, au point que de faire une simple visite me causait autrefois un battement de cœur, que les plus légers exercices physiques m’étaient intolérables, que d’entrer en lutte ouverte avec une autre personne, même pour discuter mes idées les plus chères, m’apparait, encore aujourd’hui, chose presque impossible. Cette horreur d’agir s’explique par l’excès du travail cérébral qui, trop poussé, isole l’homme au milieu des réalités. Il les supporte mal, parce qu’il n’est pas habituellement en contact avec elles. Je le sens bien, cette difficulté d’adaptation au fait me vient de ce pauvre père ; de lui aussi cette faculté de généraliser, qui est la puissance, mais en même temps la manie de ma pensée ; et c’est son œuvre encore qu’une prédominance morbide du système nerveux qui a rendu ma volonté si folle à de certaines heures. Mon père, qui devait mourir très jeune, n’avait jamais été robuste. Il avait dû, à l’âge de la croissance, subir cette épreuve de la préparation à l’École polytechnique, meurtrière aux meilleures santés. Avec ses épaules étroites, avec ses membres appauvris par les longues séances de méditations sédentaires, ce