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LE DISCIPLE

essayé de m’absorber dans quelques travaux d’ordre abstrait, je n’avais pas pu. J’y aurai du moins gagné de vous écrire ces pages sans que l’on s’occupe de me surveiller. Voici quatre jours que je ne songe qu’à cela, et, grâces vous en soient déjà rendues, la force de la pensée me revient. J’ai trouvé même un peu du plaisir qui était le mien autrefois, quand j’écrivais mes premiers essais, à reprendre, pour ce travail, la froide sévérité de ma méthode, — de votre méthode. J’ai jeté hier sur le papier un plan de cette monographie de mon moi actuel, en pratiquant la division par paragraphes que vous avez adoptée dans vos travaux. Je me suis prouvé la vigueur persistante de ma réflexion en reconstruisant ma vie depuis son origine, comme je résoudrais un problème de géométrie par synthèse. Je vois distinctement à l’heure présente que la crise dont je souffre a pour facteurs mes hérédités d’abord, ensuite un milieu d’idées, celui où j’ai grandi, puis un milieu de faits, celui où j’ai été transplanté par mon entrée chez les Jussat-Bandon. La crise elle-même et les questions qu’elle soulève en mot seront la matière des derniers fragments d’une étude que je débarrasserai du parasitisme des souvenirs insignifiants pour la réduire à ce qu’un maître de notre temps appelle les génératrices, À tout le moins je vous aurai fourni un document exact sur des façons de sentir que j’ai crues autrefois précieuses et rares,