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regard de sa compagne, que ce roman tout familial intéressait la jolie Anglaise, il eut le flair de s’y tenir. Par une étrange suggestion de sa propre parole, plus il ajoutait des traits faussés à ce personnage ainsi posé, plus il le devenait sincèrement. Avait-il jamais hanté les cabarets à la mode, les luxueux cabinets de toilette des demoiselles et les tripots ?… Il eût donné sa parole d’honneur que non, — et il n’eût pas trop menti. Il l’avait presque oublié. La passion naissante a de ces trompe-l’œil.

— « Mais vous-même, mademoiselle, » finit-il par dire, avec l’idée d’obtenir confidence pour confidence, « vous n’avez pas quelque part, en Angleterre, une maison de famille à laquelle vous rattachent des souvenirs d’enfance et que vous regrettez dans votre exil parmi nous ? »

— « Une vraie maison de famille ? » répondit-elle, « non… Il y en avait pourtant une qui aurait pu en tenir lieu. C’était celle où nous sommes allés tous les étés, pendant dix ans, en Shropshire… Nous n’y retournons plus, depuis la mort de ma mère. »

— « Ah ! », interrogea Jules avec un intérêt qui n’était pas joué. « Vous avez perdu madame votre mère ?… C’est un deuil récent ? » Il attendait une réponse qui lui fournirait une occasion de quelques tirades émues sur les tristesses de l’existence, l’irréparable de certains malheurs, l’irremplaçable douceur de certaines affections, — enfin, toute cette phraséologie sentimentale à laquelle de plus averties qu’une pauvre petite Hilda Campbell se laissent prendre, depuis que le monde est monde et qu’il y a des fourbes à demi sincères pour jouer, à des femmes naïves, la comédie de la pitié attendrie. Aussi demeura-t-il décontenancé devant l’attitude de la jeune fille, dont le visage se serra, pour ainsi dire. Elle ne répondit qu’un mot à sa question :