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et très vite intimement. Il possédait, au suprême degré, le don dangereux des séducteurs-nés ; il avait un art instinctif de poser, avec une grâce légère, comme enfantine, de ces questions qui établissent du coup, entre les interlocuteurs, des relations autres que les conventionnelles. Il se racontait lui-même avec une telle spontanéité, même à des indifférents, que, très naturellement, ceux-ci étaient tentés de lui répondre sur un ton pareil.

Hilda Campbell et lui n’étaient pas au bout de l’avenue des Poteaux qu’il l’avait déjà initiée à tout le détail de sa vie, dans la vieille maison de la rue de Monsieur. Avec quel art de comédien ingénu la réalité de cette existence, si simple, si peu excentrique, avait été maquillée ! L’étroit et pauvre jardin sur lequel donnaient les fenêtres du salon du rez-de-chaussée était devenu un parc. Ce coin paisible, mais assez vulgaire, et, somme toute, très bourgeois, du faubourg Saint-Germain, s’était transformé en une province pittoresque, peuplée de couvents et d’hôtels jadis princiers, tous historiques ! La vieille douairière dont il était le fils avait pris une tournure d’aïeule portraiturée par Van Dick — (sir Anthony, comme l’appellent tranquillement les cartouches de la National Gallery, à Londres. Ces insatiables dévorateurs que sont les Anglais ont happé et digéré le grand peintre Anversois et ils en ont fait un baronnet). Lui-même, Jules, se silhouettait comme le jeune gentilhomme des romans des mauvais élèves de l’exquis Octave Feuillet. Il était l’héritier mélancolique d’un grand nom, pas très fortuné, mais fièrement pauvre, consacrant ses vingt-cinq ans à consoler la solitude et le veuvage d’une mère incomparable. Il y avait, certes, les éléments de tout cela dans sa vie. Il en avait fait un très agréable arrière-fonds à des habitudes d’un ordre beaucoup moins édifiant. Mais constatant au