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comme le cheval ne m’appartient pas encore, je prendrai un de vos hommes… »

— « Well… », reprit Campbell. Il appela successivement de sa voix rauque, qui dénonçait trop la funeste manie du gin, trois de ses employés, dont son neveu : « Jack !… Dick !… Walter !… »

— « Jack et Dick sont sortis avec les deux nouveaux poneys, » répondit une voix, toute fraîche celle-là, tout argentine, celle de Hilda, dont le buste apparut à une des fenêtres du premier étage. Elle vit Jules et le salua, sans rougeur cette fois, de son loyal sourire. Elle continua : « Et Walter est à la forge, avec la jument baie. »

— « Voulez-vous monter avec M. de Maligny, qui essaiera l’Irlandais de ce matin ? » dit le père. « Vous en profiterez pour faire prendre l’air au Rhône. » On se rappelle qui avait imaginé d’infliger ce sobriquet au camarade du Rhin et pourquoi. Puis, se tournant vers Jules, il interrogea avec un nouvel anglicisme :

— « Vous n’objectez pas ?… »

Voilà comment, bien peu d’heures après avoir obtenu — pour le lendemain — l’exeat du docteur Graux, et en avoir usé tout de suite et abusé, le jeune homme se trouvait trotter botte à botte avec celle que le digne médecin avait appelée « une milady de la main gauche ». Sa blessure, trop récente, et toujours bandée, ne lui permettait pas de déployer son talent de cavalier, dont il aurait eu besoin pour bien diriger un cheval à peine mis et très difficile. Tout juste arrivait-il à le maîtriser. Mais, pour les jeunes gens d’une certaine race, une petite sensation de danger, de risque, à tout le moins, est un excitant qui les grise gaiement. D’être sur cette bête très en l’air, et qui, durant cette promenade, ne se calma pas une minute, avivait, pour Jules, le plaisir inattendu de causer en tête à tête avec la jeune fille