Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

peut-être son affaire. Il avait compté qu’il demanderait à le monter le jour même et qu’il serait accompagné par quelqu’un de la maison, peut-être par Corbin. Ce serait une occasion d’« avoir des tuyaux » sur miss Campbell. Il employait volontiers cet argot de champ de courses. Il ne s’était pas avisé que la bonhomie toute britannique des insulaires de la rue de Pomereu lui permettrait, et aussitôt, de dépasser cette première espérance. Les longues années que Bob Campbell avait vécues à Paris n’avaient pas changé ses idées sur ce point si essentiel de l’éducation des femmes, qui justifierait, à lui seul, l’éternelle vérité du vers de Virgile :

Et penitùs toto divisos orbe Britannos.[1]


Un Anglo-Saxon de la vraie souche croirait faire injure à une jeune fille, s’il supposait un moment qu’elle a besoin d’un protecteur. Quoique la loi sur la « rupture des promesses », qui assimile très justement la séduction à un délit, n’existe pas en France, Hilda se promenait dans le Paris de ses goûts, — il est vrai qu’il n’était pas bien étendu ! — on l’a déjà remarqué avec autant de liberté que si elle eût vécu dans Pall Mall ou dans Pimlico, sous la sauvegarde des sévères juges de son pays. Le père était si habitué à voir en elle uniquement la dresseuse de chevaux, qu’à cette demande d’essai faite par son nouveau client, il répliqua simplement :

— « La bête est verte, monsieur le comte. Êtes-vous très sûr de vous, comme cavalier, ou voulez-vous qu’un de mes hommes aille avec vous ?… »

— « Je suis très sûr de moi, » fit Maligny, « mais,

  1. Et les habitants de la Grande-Bretagne, si radicalement séparés du reste du monde.