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de juges. Vous ne les payez pas assez haut. » (Ici, insularité double : haut pour cher, pur anglicisme, et une impertinence à l’égard des continentaux.) « Chez vous, nous nous faisons justice nous-mêmes, nous autres, Anglais, quand nous pouvons !… » (Une mimique de boxeur commenta cet aphorisme.) « Et, quand nous ne pouvons pas, nous nous rappelons que Christ s’est réservé la vengeance. » (Dernière insularité : un rappel de la Bible et de saint Paul à propos d’une vulgaire histoire de maraudeur.) « Monsieur de Maligny, permettez-moi de vous introduire mon neveu, M. John Corbin. »

— « Très heureux, monsieur… » Ces trois mots, accompagnés d’un serrement de main à décrocher le bras valide de Jules, firent tout le discours du cousin de Hilda. Mais à voir l’expression de son regard de bonne bête reconnaissante dans sa longue face chevaline, comment douter que le digne écuyer ne fût aussi ému que son oncle ? Il y avait chez ce garçon rude et solitaire, qui avait passé son existence à surveiller le mesurage de l’avoine dans les mangeoires et à secouer les litières pour savoir si les animaux avaient besoin de sulfate de soude ou de graine de lin, un extraordinaire pouvoir de romanesque. C’était lui, le pauvre demi-valet d’écurie, et non le jeune gentilhomme déjà gâté, qui aimait vraiment Hilda, — comme l’ingénieux Hidalgo, auquel il ressemblait physiquement, aimait la Dame du Toboso, — d’un culte absolument, passionnément désintéressé. Il n’avait jamais rêvé, même une heure, que sa secrète ferveur pour son exquise cousine pût être, non point partagée, mais comprise. Du moins elle n’avait, jusqu’ici, aimé personne. Il le savait et, pour cet amoureux caché, quelle douceur que cette certitude ! Il savait également qu’elle aimerait un jour. Cela, Jack était prêt à l’accepter, pourvu que le rival préféré