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ravissant visage, teinté de rose, la tête blonde de la jeune fille se tourner vers le gros homme, debout près d’elle, en même temps que sa gracieuse bouche, aux lèvres comme ourlées, prononçait quelques mots. Une joie pareille, quoique plus flegmatique, éclata sur le masque sanguin du gros Bob. Cette même joie rayonna dans la falote physionomie du grand et long Jack, lequel laissa retomber le pied de son Irlandais, — au risque de faire manquer cette vente à son oncle. L’acheteur et l’acheteuse demeurèrent décontenancés, une seconde, par ce changement à vue auquel il leur était impossible de rien comprendre, — moins, cependant, que le jeune homme, lorsque Campbell s’avança vers lui. Et lui prenant la main gauche, — la droite était toujours bandée, — le digne marchand de chevaux la serra vigoureusement en lui disant la phrase que Jules avait prévue, mais sur un ton et avec une adjonction qu’il n’attendait certes pas :

— « How do you do, monsieur de Maligny ? Très heureux de faire votre accointance… »

C’était une concession de l’insulaire aux naturels du pays qu’il daignait coloniser, que cet effort pour traduire le britannique : to make your acquaintance. Bob avait beau être un maquignon, très honnête, c’était un maquignon. Il avait pris l’habitude, ayant remarqué qu’un acheteur qui sourit est un acheteur un peu désarmé, d’exagérer ses fautes de français. L’habitude lui en restait, même dans les circonstances où il n’avait aucun intérêt à jouer l’Inglisch de café-concert.

— « Oui », insista-t-il, « je sais que, sans vous, ma pauvre Hilda était, — comment dites-vous cela ? — meurdérée. » (Autre insularité. Il traduisait murdered à sa façon.) Nous n’avons point porté plainte, parce que nous savons qu’en France vous n’avez pas