Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

occasion trop tentante d’apprendre lui-même le nom de la jolie cavalière, sans paraître trop curieux, et il saisissait ce prétexte. Il venait, durant ces quelques instants, de la détailler tout entière du regard, avec la perspicacité d’un Parisien de vingt-cinq ans qui a trop vécu déjà dans les mauvais milieux pour se tromper sur la condition sociale d’une femme. Il n’avait pu classer celle-ci dans aucune catégorie distincte. Montant à cheval seule, au Bois, le matin, elle n’était pas une jeune fille… Était-elle une jeune femme un peu excentrique, qui s’amusait à se promener librement, sans écuyer ? Sa prononciation la révélait étrangère. Mais l’extrême sobriété de sa toilette et son air de réserve ne s’accordaient pas avec le rien d’effronterie que suppose un trop hardi dédain des convenances… Appartenait-elle au demi-monde ? Ces mêmes façons ne rendaient pas cette hypothèse plus probable… Jules était, d’autre part, trop connaisseur des choses de sport pour ne pas avoir aussitôt observé que son inconnue montait parfaitement bien. C’était une énigme de plus, que ce talent équestre qui supposait l’habitude quasi quotidienne du plus coûteux des divertissements. Le désir de savoir à quoi s’en tenir, autant, pour le moins, que l’impression produite sur lui par la beauté de la jeune fille, le poussa donc à insister encore, — ruse bien simple, mais qui lui parut d’un effet infaillible : « Oui, » reprit-il, « on l’arrêtera… C’est un exemple nécessaire. Il y a trop longtemps que l’on se plaint des rôdeurs et des rôdeuses à mine sinistre qui encombrent ces allées, autrefois si sûres… Mais on n’avait pas encore entendu dire qu’en 1902 l’on risquât d’être dévalisé et assassiné en plein Bois de Boulogne, à dix heures du matin, comme si l’on était en 1825 sur les routes de Naples ou de Sicile. Oui, il faut que la plainte soit déposée aussitôt. Il le faut,