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leur fait donner, par les Grecs modernes, le nom trop justifié d’Alogos, le Sans-Raison. En se jetant ainsi et jetant son agresseur entre les sabots de la bête, Hilda courait le risque, elle s’en rendait bien compte, de recevoir un coup de pied qui pouvait l’assommer net ou lui briser un membre. Mais, avec la rapidité foudroyante de conception que donne le mortel danger, quand on n’y perd pas son sang-froid, elle avait calculé que l’effarement de l’animal et ses sauts déconcerteraient un instant le bandit. L’une minute gagnée, ce pouvait être le salut. Le Rhin, en effet, épouvanté par ce groupe qui se débattait sous lui, bondit à droite, puis à gauche, mais sans toucher ni à l’un ni à l’autre des deux lutteurs, et il s’écarta de deux mètres. Les appels désespérés de Hilda continuaient, l’homme ne pouvant plus la prendre à la gorge. Elle avait saisi, de sa main droite, le poignet du bras qui tenait le couteau et elle continuait à frapper, de son autre poing, le visage hideux du voleur, qui, maintenant, ne pensait plus qu’à l’assassiner. Il ne s’était, certes, pas attendu à rencontrer, dans cette promeneuse isolée, une robustesse d’athlète… Leurs souffles se mêlaient : l’haleine avinée du bandit et l’haleine pure de la jeune fille. Cependant, les forces de celle-ci allaient faiblissant… Ses cris se faisaient moins perçants. Les poumons lui manquaient… Encore quelques secondes, et le bras du meurtrier serait dégagé et le coup de couteau donné, quand l’éclat d’une voix répondant de loin, puis de plus près, à son appel, permit à la pauvre enfant une dernière crispation héroïque de ses muscles épuisés. Le chemineau entendit cette voix, lui aussi. Il retourna la tête et, prenant Hilda par l’épaule, il lui battit la tête contre le sol à l’étourdir, et il s’élança pour échapper, du moins, avant l’arrivée de ce secours inattendu… Il n’en eut pas le