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des choses ; — une vieille femme cheminant, les épaules pliées sous une charge de bois mort. Ces touches de simple nature, rencontrées brusquement, à si peu de distance de ce Paris artificiel qu’elle n’aimait pas, ravissaient toujours la jeune Anglaise. Elle fermait les yeux à demi, et, abandonnée au rythme du petit galop, elle se croyait loin, très loin, dans quelque vallée de Grande-Bretagne ou d’Irlande dont elle gardait le souvenir.

— « Le Bois est comme un grand parc, ce matin, » songeait-elle. « Il ressemble à celui de Kenmare, que nous avons visité, maman et moi, au-dessus de Killarney, quand nous sommes allées à Dublin, avec papa, pour le Horse Show… Il n’y a pas plus de quatre ans !… »

Les visions de ce voyage, si rapproché par les dates et si distant, si perdu dans un abîme de nuit, à cause du recul tragique de la mort, affluèrent dans l’esprit de Hilda. Elle tomba dans une espèce d’hypnotisme rétrospectif, dont elle fut réveillée par le plus vulgaire des accidents. Le Rhin ayant, tout d’un coup, commencé de se désunir et de sautiller, elle constata que la selle n’avait plus la fixité ordinaire. En se retournant, elle s’aperçut qu’une des courroies, la transversale, pendait, détachée. C’était le battement de la lanière de cuir contre ses jambes qui agaçait l’animal.

— « Quand Jack saura cela », pensa lia jeune fille, « il en fera une maladie. Lui qui ne laisse jamais personne seller mon cheval quand il est à la maison, et c’est lui-même qui l’avait sanglé, ce matin… Bah ! Ce ne sera pas grand’chose… Heureusement que cette bête est la sagesse même… Il n’y a pas de cavalier en vue qui puisse me la tenir… Mais, quand on ne sait pas s’aider soi-même, il ne faut pas monter… »