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Les moindres incidents de la route les intéressent, s’ils l’intéressent. Ils deviennent elle et elle devient eux. Ils se parlent et ils lui parlent, mélangent ainsi leurs pensées les plus intimes aux saugrenues observations.

— « C’est étonnant comme ce petit Rhin mérite son nom, » se disait Hilda.« Est-il vite !… Est-il vite !… » Et tout haut : « Doucement, boy, doucement !… » Puis, tout bas et dans un demi-songe : « Quand nous sommes allés en Suisse, pour ma pauvre maman, son dernier été, je me rappelle comme elle regardait cette eau du vrai Rhin, à Bâle, des fenêtres de l’hôtel… Elle aimait ce courant rapide… Elle me répétait : « Ainsi la vie. » Savait-elle que la sienne passerait si rapidement ? On le croirait… » Et tout haut, de nouveau : « Bon, encore un automobile… Pourquoi dresses-tu tes oreilles, petit sot ? Ce n’est qu’un motor car, et qui ne te fera pas de mal… » Puis, tout bas : « C’est égal. Il est bien sage de n’en avoir pas plus peur, et il vient de la campagne, où il n’en avait jamais vu !… Si papa ne vend pas ce cheval deux cents guinées, il a tort. Ça n’a pas de prix, un cheval comme celui-ci, cinq ans, et quand il sera mis au bouton !… Et léger à la main !… Mes rênes sont comme un fil… Si M. de Candale cherche toujours un cheval pour sa femme, il ne peut pas tomber mieux. J’aimerais qu’il le lui donne. Elle est sympathique, et le gentil Rhin serait bien traité… » Et tout haut, derechef, en flattant l’encolure du cheval du manche de sa cravache :« Oui, vous seriez bien traité, gentil Rhin. » Et tout bas : « Il sent que je lui parle de lui, il le sait… Quand je serai chez moi, c’est un cheval de cette robe que j’aurai pour moi… Chez moi ? Y serai-je jamais ? Et quand ? Je ne dois pas quitter mon père. Que ferait-il, seul ?… Et lui, voudra-t-il jamais quitter la rue de