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permis de lui adresser des compliments trop flatteurs, elle n’y avait pas pris plus garde qu’à la silencieuse admiration de son cousin John. À quel moment de la journée aurait-elle eu le temps de lire un de ces dangereux livres qui éveillent l’imagination et auxquels sa pauvre mère s’était endolori l’âme ? Quand elle dépouillait, à la fin du jour, son costume d’amazone pour passer une toilette de ville, elle était si recrue de fatigue physique, qu’elle ne pensait guère à aller ni au théâtre ni en soirée. Elle pensait à dormir. D’ailleurs, aller au théâtre ? Quel théâtre ? Avec qui ? Dans quelle soirée et chez qui ? L’idée ne lui venait jamais de comparer son sort à celui des grandes dames, quelques-unes de son âge, pour lesquelles elle dressait des chevaux de chasse, — et pas davantage à celui des demi-mondaines opulentes qu’elle rencontrait au Bois et qui croyaient devoir à leur réclame de parader sur des bêtes de trois cents louis. Le petit monologue intérieur qu’elle se prononçait ce matin-là, en gagnant ce Bois et ses allées cavalières,

peut être donné comme le type de ses secrètes et intimes pensées. Il faut toujours en revenir, quand on essaie de comprendre ce mystère qu’est, pour un Gallo-Romain, une sensibilité de jeune fille anglaise, au mot de Juliette, dans Shakespeare :

— « If Romeo be married, my grave will be my wedding bed. » (Si Roméo est marié, j’aurai ma tombe pour lit de noces.)

C’est le mariage qui est le roman des Anglaises romanesques, et c’était aussi de mariage, mais dans un déterminé si vague, si lointain, que rêvait Hilda Campbell, emportée par le Rhin, et à travers quelles incohérences de réflexions et de souvenirs, où des récurrences émues se mélangeaient à des remarques d’écuyère ! Ce qui caractérise les vrais amateurs de chevaux, c’est qu’ils ne font qu’un avec leur monture.