Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/312

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mme Tournade partir et très ridiculement. Deux ou trois interrogations prudentes lui firent croire que Hilda n’avait pas osé parler de lui. Il jugea qu’il avait eu raison de la traiter ainsi qu’il avait fait. Elle se tenait, du reste, à l’écart, comme honteuse et intimidée. Elle avait retenu sa bête et dit à Corbin de rester auprès d’elle. Pour se donner une contenance, peut-être pour empêcher le brave garçon de toucher à sa blessure, elle s’était mise à l’interroger sur le cheval qu’il montait et qui avait été celui de Mme Tournade. Quelles autres questions à poser, avec ce qu’elle avait dans le cœur, que celles-ci : « A-t-il eu beaucoup de bouche ?… Ne se désunit-il pas, sitôt qu’on le pousse ?… Il change trop souvent de pied en galopant ?… » Et quelles réponses à faire pour le pauvre Corbin, qui lisait distinctement, dans les yeux de la jeune fille, la folie d’une passion exaltée jusqu’à la fièvre du martyre ? Qui l’eût entendu donner, en termes techniques, les renseignements demandés, ne se fût jamais douté que, lui aussi l’amoureux non pas même dédaigné, mais insoupçonné, mais ignoré, était possédé par un même délire de la jalousie et du sacrifice. L’émotion dont il voyait de nouveau Hilda soulevée par la présence de Maligny, après le brutal procédé de celui-ci, révoltait son cœur. Il était, d’autre part, mortellement inquiet de l’entretien que sa cousine venait d’avoir avec Mlle d’Albiac. Il en devinait la gravité à son trouble, et il appréhendait, avec une angoisse qui allait jusqu’à la terreur, l’issue de cette journée de chasse, dont la fin pouvait être encore si éloignée. Il aurait voulu implorer la malheureuse enfant, insister derechef pour qu’elle rentre à Rambouillet, puis à Paris. Lui non plus n’osait pas. Elle, cependant, frémissante, la pourpre aux joues, la figure crispée, continuait, tout en parlant, à épier, malgré elle, la