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partaient au petit galop dans la direction indiquée par les aboiements lointains de la meute. La ruse imaginée soudain par Louise d’Albiac, pour s’assurer un entretien d’un caractère si fantastiquement exceptionnel, avait réussi. L’événement qu’elle avait prévu se produisait, tout naturellement. Son père se tenait à quelques mètres en arrière avec Corbin, dont il étudiait la monture, tandis que les jeunes filles trottaient à côté l’une de l’autre. Elles se taisaient, également désireuses d’une explication, que toutes les deux sentaient si délicate, si difficile, presque impossible. Elles se regardaient à la dérobée. Chacun de ces regards augmentait la singulière et irrésistible fascination qui les avait attirées l’une vers l’autre, alors que leur rivalité auprès d’un même homme eût dû, semblait-il, s’exaspérer jusqu’à la haine, étant donnée, surtout, la diversité de leurs conditions. Mais non. Plus elles s’examinaient réciproquement, plus l’indéfinissable et profonde identité de leurs natures se révélait par un inexprimable attendrissement. Elles se trouvaient envahies et comme dominées par une instinctive confiance. Dans des circonstances si faites pour qu’elles se déplussent, elles se plaisaient l’une à l’autre, par toutes sortes de ces petits détails où s’alimentent, à une première rencontre, les aversions ou les sympathies innées. C’est un geste, c’est un tour de tête, c’est la ligne d’un sourire… Ce sont des riens, mais dans lesquels est empreint ce mystère de la personne, des divers principes de répulsion ou d’affection, le plus puissant, parce qu’il est le plus intime… Elles allaient, poussant à une allure égale leurs chevaux assagis par la course déjà fournie, et dont les sabots froissaient, dans un rythme doux, comme un tapis feutré de feuilles sèches et d’herbes jaunies. Elles avaient pris une des lisières de l’avenue pour avoir un peu d’ombre, le