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ces menus se complétaient par quelques-uns de ces innombrables plats sucrés, puddings et pies, seules ingéniosités de la monotone cuisine d’outre-Manche. Mais Mrs Campbell n’était pas une femme de cheval. C’était une douce et pâle créature, mariée à Bob par un hasard de destinée, et, comme tant de femmes de son pays, une ménagère sentimentale. Elle était la fille, trop finement élevée, d’un gros fermier du Yorkshire, Campbell, lui, le fils, élevé trop rudement, d’un autre fermier du voisinage. Le portrait de la morte, pendu aux murs du petit salon, expliquait ce qui dut être le drame de sa vie, — un drame peut-être ignoré d’elle, et que V… et moi avons si souvent commenté, en trottant botte à botte sur des chevaux que nous avions loués là. Il arrive souvent, dans un mariage mal apparié, qu’une femme silencieuse et craintive s’étiole de mélancolie sans en comprendre les causes, — quelquefois en se croyant heureuse. C’est la plante d’essence trop peu robuste qui dépérit par le seul voisinage d’une autre plus forte. La seconde a pris tout l’air, toute l’eau, tous les sucs nourriciers du sol, dont la plus grêle avait besoin. Mrs Campbell s’était fanée de même, victime inconsciente du non moins inconscient bourreau qu’avait été le pauvre gros Bob. Comment le maquignon aurait-il jamais soupçonné que ses gestes, le son de sa voix, son rire, ses façons de manger et de boire, d’aller et de venir, son métier, tout, enfin, de sa personne brutalisait les nerfs trop faibles de sa Millicent, si douce, si attentive à ne négliger aucun de ses menus devoirs de servante légitime ? Des traces demeuraient partout éparses dans le petit salon, de la sensibilité délicate qui avait animé cette femme fragile d’un rustre au bon cœur. C’étaient des photographies de tableaux sans grande valeur, mais pourtant très différents, par leurs sujets, des gravures de courses qui décoraient