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loyauté, la sincérité… Ah ! si c’était pour elle que Jules m’avait oubliée, pour elle seule, je souffrirais bien, mais je n’en voudrais ni à lui, ni à elle. J’en suis sûre. Je le sens… Ce serait si naturel, qu’il l’aimât !… Mais, s’il l’aimait, est-ce qu’il se serait occupé de cette autre femme ?. .. Et pourquoi ?… Parce qu’elle est riche ?… »

Hilda se répétait mentalement ces mots, où tenait un infini de désillusion.

— « Parce qu’elle est riche !… Non. Il n’aime pas plus Mlle d’Albiac qu’il ne m’a aimée. Mais quel homme est-ce, alors ? Qu’a-t-il dans la conscience pour se jouer ainsi des cœurs sans aucun remords ?… Moi, ce n’était rien. C’est trop naturel qu’il ne m’ait pas comprise… Une pauvre écuyère qui n’était pas de son monde ! On lui avait mal parlé de moi. Je n’avais ni nom ni fortune. Il a pu ne pas savoir ce qu’il faisait. Et pourtant !… Mais elle, cette Mlle d’Albiac, c’est une fille noble. Elle est charmante. Elle l’aime. Et c’est la même chose !… Mais pourquoi me regarde-t-elle ? Est-ce que Jules lui aurait parlé de moi, comme à l’autre ? S’il lui a livré mon secret aussi, comme c’est mal !… Et que lui aura-t-il dit ? Qu’aura-t-elle cru ?… Dieu ! Je voudrais tant avoir le droit d’aller à elle et de l’interroger ?… Si elle pense du mal de moi à cause de ce qu’il lui a raconté, c’est trop injuste… Il est sûr, pourtant, qu’elle sait qui je suis. Son père a demandé mon nom et le lui a répété. De cela, je ne veux pas douter. Je l’ai vue, de mes yeux, qui se penchait vers lui. Je l’ai vu, lui, qui se retournait de mon côté et qui parlait à son voisin. Je l’ai vue, elle, qui changeait de visage quand son père lui a transmis la réponse… Suis-je folle de douter ! Oui, Jules m’a vendue à elle… Oui. Elle me croit une aventurière… Elle doit penser que je suis venue pour les espionner, pour me venger…