Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/278

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cependant, les chiens, encore attachés, se pressaient les uns contre les autres. Ils palpitaient, ils hurlaient d’attente, après le moment où ils seraient enfin déhardés. Des curieux et des curieuses étaient descendus des voitures, rangées au long de la route. Piétons et cavaliers causaient gaiement, tandis que le prince de La Tour-Enguerrand, pénétré de son importance, allait et venait sur un magnifique irlandais de couleur pie. C’était une de ses excentricités, à cet arbitre de la mode. Il ne montait que des bêtes de cette fantastique robe. — C’était aussi un de ses snobismes. Les bourgeois et les parvenus ne sont pas les seules victimes de ce ridicule. On peut être aussi bien né qu’un Bourbon et ne pas en être exempt, lorsqu’on pense trop à sa maison. La Tour-Enguerrand ne manquait jamais l’occasion de rappeler le motif de ce choix, comme il le fit à Mme Tournade, qui admirait sa bête :

— « C’est une drôle de couleur, n’est-ce pas ?… Elle est de tradition dans notre famille, depuis que le maréchal de Turenne, qui ne montait que des juments pie, a donné une de ses bêtes à mon arrière-arrière-arrière-grand-père… Demandez à miss Campbell la peine que son père a eue pour me trouver ce cheval-ci… »

L’aimable maître d’équipage, que son mariage avec la fille du richissime Firmin Nortier[1] n’a empêché, jusqu’ici, ni de corser son budget à coups d’expédients, ni de conter fleurette à toutes les jolies personnes, en fut pour les frais de son sourire et de son salut. Hilda ne parut pas même l’avoir entendu. Il fallut que Corbin, qui ne l’avait pas quittée, répondît pour elle dans le français et avec l’accent que l’on devine :

  1. Voir Un homme d’affaires.