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Celui que je juge, c’est lui. Et, si jamais vous me rendez ma parole… »

— « Je ne vous la rends pas, » répliqua-t-elle, vivement. Puis, d’une voix presque basse, comme effrayée des abîmes qu’elle découvrait dans sa propre sensibilité : « Moi aussi, je le juge, et comme vous, plus sévèrement peut-être, et cela n’empêche rien… Que c’est triste de ne pas estimer celui qu’on aime, et de… »

Elle n’acheva pas. Elle ne dit pas : « Et de ne pas aimer celui qu’on estime !… » L’amoureux dédaigné les lut, sur ces belles lèvres arrières, ces mots où tenait toute la mélancolie de leur destinée à l’un et à l’autre. Il l’acceptait pour lui, cette destinée, sans plus essayer de la conjurer. Il avait renoncé au fol espoir d’être aimé. Il n’acceptait pas, pour Hilda, l’avenir qu’il entrevoyait. Mais que faire ? Quand il était accouru, quelques jours auparavant, lui répéter les propos surpris dans la journée de chasse, à Chantilly, il avait tant cru qu’il portait un coup définitif au prestige de son rival !… D’autres faits indiscutables étaient venus si vite corroborer et aggraver ce témoignage ! Et le mépris, au lieu d’étouffer chez la jeune fille cet amour passionné pour un être indigne, semblait l’aviver, l’exalter… C’était un démenti donné à toutes les idées que John s’était faites sur sa cousine. Pourtant, qui la connaissait, sinon lui, l’ayant vue naître et grandir ? Cette funeste passion avait donc dénaturé ce caractère si instinctivement droit, si délicat, si étranger aux compromis. L’écuyer avait toujours eu le sentiment qu’il n’était qu’un ignorant. Il n’avait eu, dans son humble métier, qu’une bien étroite expérience. Cette conviction de son incapacité à manier finement la vie l’accabla soudain. Toutes ses démarches, depuis ces six mois, n’avaient fait qu’empirer une situation dont il avait prévu les conséquences