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Tandis qu’il causait ainsi, la lèvre souriante et prête à l’ironie, l’œil mi-clos et prêt à l’observation, son visage avait pris la plus mauvaise de ses expressions, la féline, celle où son pire atavisme slave se révélait le plus évidemment. La méfiance, cachée sous cette bonne humeur de parade, se devinait à l’acuité singulière de son regard. Ah ! que ce regard ressemblait peu à celui dont il enveloppait Hilda durant les semaines de l’autre printemps, alors qu’il s’abandonnait à l’ivresse naïve de cette cour silencieuse ! Mais y avait-il aucun rapport entre la fraîcheur des émotions éprouvées dans cette intimité sans arrière-pensée et ses acres soupçons de cette minute ? La jeune fille en demeura saisie. Elle reconnaissait bien ces traits, si mâles et si fins tout ensemble, dont elle portait, depuis six mois, l’image dans son souvenir. Elle ne reconnaissait pas l’être qu’elle avait aimé à travers ces traits. Ajoutons que lui, de son côté, ne la reconnaissait pas non plus. Elle avait, elle aussi, dans l’arrière-fond de ses prunelles, une méfiance que Jules n’y avait jamais rencontrée autrefois et qui en altérait l’habituelle candeur. Sa bouche se fermait dans un pli amer qui contrastait étrangement avec la grâce enfantine de ses anciens sourires. Le profond chagrin de cette demi-année, en pâlissant et creusant ses joues, lui avait donné un vieillissement, non pas dans sa chair, mais dans son esprit, et cet air de savoir la vie, qui dévirginise, si l’on peut dire, une physionomie. Enfin, six mois pleins avaient passé entre eux, et il y a toujours, dans une séparation qui dure, un principe inévitable de malentendus. Un travail s’accomplit, tout ensemble, dans la représentation que notre esprit se fait des absents et dans ces absents eux-mêmes. Ils vivent, et, vivre, c’est forcément un peu changer. Nous pensons à eux, et, penser