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le complice. Il avait cessé de l’estimer… Toutes ces idées, surgies pêle-mêle dans l’esprit de la jeune fille, la bouleversèrent au point qu’elle ne put dormir de la nuit. L’approche du moment où elle se retrouverait en face du jeune homme, et dans de telles conditions, lui donnait la fièvre. À dix reprises, elle se leva pour aller auprès de son père, l’éveiller, lui confesser tout. Chaque fois, elle s’arrêta devant la porte de la chambre paternelle, sans avoir la force de passer outre. Un détail grotesque, de ceux qui se remarquent et prennent leur lamentable importance dans des secondes pareilles, acheva de la décourager : le ronflement du dormeur entendu à travers le battant. Toute la simplicité fruste du gros maquignon, dont la mère de Hilda, jadis, avait tant souffert, était symbolisée dans ce sonore et grossier sommeil. Hilda n’avait jamais même soupçonné les causes inavouées de la tristesse presque animale, si l’on peut dire, dont elle avait vu mistress Campbell dépérir. L’hérédité n’étant pas un vain mot, — quoi qu’en puissent dire certains philosophes, lassés de l’abus que des ignorants font de l’idée de race, — la fille éprouvait, sur ce palier de leur commun étage, exactement les sensations subies jadis par cette morte, à qui elle ressemblait tant. Presque tous les drames de famille procèdent de ces malentendus entre des physiologies par trop différentes, — il ne faut pas reculer devant les formules dont ces mêmes ignorants ont abusé, quand elles sont justes. — Au matin, cette impuissance à s’expliquer avec son père avait déterminé la naïve amoureuse à un autre projet : n’être pas là quand Jules viendrait, et ne rentrer rue de Pomereu qu’à un moment où elle serait très sûre de ne plus le rencontrer. Jusqu’à midi, elle se tint ferme dans cette résolution. Hélas ! Elle aimait. Où eût-elle trouvé l’énergie de résister à cet attrait de la présence,